mardi, mai 6, 2025
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Brume Rhodanienne

Valence, District S-42, Reich Français
An 82 du Nouvel Ordre (2025)


CHAPITRE 1 – Les murs ont des oreilles

La sirène de dix-sept heures hurlait au-dessus du Rhône. Des drones ornés de croix gammées patrouillaient le ciel plombé, scrutant les visages, les gestes, les pensées. En contrebas, Valence étalait son urbanisme rigide, reconstruite à l’image du Grand Reich Européen après les purges de l’après-guerre. Plus de maisons médiévales, plus de marché place des Clercs, seulement des blocs de granit blanc et des avenues nommées Adolf-Hitler-Strasse ou Heinrich-Himmler-Allee.

Élena Drolet, archiviste certifiée du Département de Mémoire Contrôlée, ferma son terminal. Un clignotement rouge. Une alerte. Elle avait ouvert un fichier non autorisé. C’était un volume papier, glissé entre deux traités de géographie racialement conforme : Le Maître du Haut Château, de Philip K. Dick. Un livre interdit, incinérable sur simple détection. Pourtant, elle n’avait pas appuyé sur le bouton.

Ce soir-là, elle vit une silhouette l’attendre dans la ruelle Saint-James. Un vieil homme aux yeux pâles : « Vous voyez le Mur maintenant ? » demanda-t-il avant de disparaître. Cette phrase, elle ne l’oublia pas.


CHAPITRE 2 – Le livre et le passage

Le lendemain, Élena rencontra pour la première fois les Rémanents. Un groupuscule qui survivait dans les catacombes de la ville. Leur chef, Marta Desrousseaux, ancienne linguiste, lui montra une pièce interdite : des bobines de film, des partitions musicales proscrites, et un projecteur bricolé. Sur l’écran, une Valence différente. Des drapeaux tricolores flottaient au vent, la vieille Mairie intacte, et une foule acclamait De Gaulle en 1945.

Ils parlaient d’un lieu. Le Passage. Une faille, quelque part dans le Vercors, vestige d’une expérience inachevée menée par les scientifiques du Reich et les alliés soviétiques dans les années 50. Une interstice entre deux réalités.

Les Rémanents vivaient dans les ruines souterraines de l’ancien Valence : anciens égouts, cryptes oubliées sous la cathédrale Saint-Apollinaire, caves de Saint-Ruf. Ils connaissaient les anciens noms de rue, chuchotaient des récits de répressions sanglantes dans les années 60, et possédaient des cartes anciennes que l’IA centrale avait tenté d’effacer.


CHAPITRE 3 – Le poids des souvenirs

La présence du Sicherheitsdienst se fit plus forte. Wilfried Kreutz, Oberst local, flairait l’odeur du doute. Il savait qu’un groupe diffusait de faux souvenirs. Des images d’un monde où les nazis n’avaient pas gagné. Il ne croyait pas en l’autre réalité, mais il croyait en la peur. Et c’était suffisant.

Dans ses appartements glacés de la Villa Steiner, il relisait les rapports d’interrogatoires : des adolescents avaient évoqué des rêves étranges, des fragments d’Histoire effacée. Les rêves devenaient suspects. Les souvenirs, déviants.

Élena se rappela alors ce rêve d’enfance où sa mère parlait une autre langue, où la radio chantait Brassens, pas Wagner. Elle revit un livre d’images avec un président souriant et une écharpe tricolore. Avait-elle déjà connu un autre monde ?


CHAPITRE 4 – Valence parallèle

Une nuit, elle suivit Marta dans un ancien tunnel ferroviaire bouché. Ils atteignirent une salle circulaire, où un appareil antique — une interface optique russe baptisée Переход — diffusait des ondes quantiques. Là, Élena vit une version d’elle-même sur une photographie : jeune, souriante, tenant un diplôme universitaire français. Derrière elle, le drapeau bleu-blanc-rouge. Cette image provenait de l’autre monde.

Le Passage fonctionnait comme un miroir : il ne s’ouvrait que lorsque l’identité se fracturait. Lorsque la croyance en la réalité dominante vacillait. Marta appela cela « l’Éveil du Mur ».


CHAPITRE 5 – Le Vercors tremble encore

Le réseau fuit vers les montagnes. Le Vercors, sanctuaire ancien de la Résistance, partiellement interdit depuis 1947. Là, dans une station désaffectée, sous un ancien observatoire, ils trouvèrent une pièce scellée par du béton SS. Derrière, un vortex instable, une interface en rotation lente, bleutée, qui résonnait dans le crâne.

Élena passa.


CHAPITRE 6 – L’autre Valence

Elle se réveilla dans une ruelle, près de la rue Madier-de-Montjau. Mais tout était différent. Les façades anciennes, les gens, les voitures… Une plaque : « Cinéma Le Navire ». Un panneau : « Valence fête la Libération ». Elle tituba jusqu’à la mairie. On y célébrait un mariage républicain.

Des enfants jouaient. Aucun uniforme, aucune surveillance. Elle pleura. C’était réel. Un monde intact. Où la France s’était relevée. Où l’Histoire avait pris un autre chemin.

Elle vit même un musée de la Résistance, intact, avec une plaque portant le nom de Marta Desrousseaux. Dans ce monde, Marta était morte en 1982, professeure d’université et militante pour la mémoire.


CHAPITRE 7 – Choisir sa réalité

De retour dans Valence-Nazi, Élena savait ce qu’elle devait faire. Elle infiltra le réseau de diffusion d’informations du Reich. Depuis la tour de contrôle de la Bibliothèque, elle projeta les images de l’autre monde sur les murs de la ville. Un peuple libre. Des rues pleines de couleurs. Un monde sans croix gammée.

Kreutz lança l’Opération Neuschwaben. Purge totale. Les Rémanents furent traqués, éliminés. Marta fut arrêtée. Élena réussit à fuir avec un petit groupe vers le Passage.


CHAPITRE 8 – Deux Élena

Le Passage s’ouvrit une dernière fois. Marta et les autres y passèrent. Élena hésita. Puis elle vit, dans la foule massée autour de la place de la Résistance (anciennement Place du Reich), une enfant dessiner à la craie un drapeau bleu, blanc, rouge.

Elle resta.

Dans l’autre monde, une autre Élena s’éveilla, tenant le même livre dans ses mains. Et une voix en elle murmura :

« Le Mur existe dans chaque mémoire. Ce que nous croyons vrai modèle ce qui l’est. »


ÉPILOGUE – Le livre

Un siècle plus tard, dans une Valence unifiée, libre, apaisée, un étudiant ouvrit une vieille malle dans le sous-sol de la bibliothèque. Il y trouva un livre. Relié à la main. Usé.

Titre : Brume Rhodanienne
Auteur : anonyme.

Il lut la première ligne : « La sirène de dix-sept heures hurlait au-dessus du Rhône… »

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